Les Canaries, sont les seules îles de la Macaronésie (Açores, Madère, Cap-vert, Canaries) qui furent habitées avant l’arrivée des européens.
Tout l’archipel des Canaries était peuplé par des peuples de cultures Amazighes (Berbère, cf notre dernier article sur le Maroc et l’utilisation de ces deux mots), venant donc d’Afrique du Nord.
Actuellement, il n’y a pas de consensus ni de certitudes sur l’arrivée de ces premiers habitants.
Les seules choses certaines sont le fait que les îles n’étaient pas reliées entre elles et que les habitants n’avaient aucune culture de la navigation.
Il n’y avait donc pas un peuple sur sept îles, mais plutôt sept îles avec des fonctionnements divers et des histoires propres, mais semblant originaires tout de même d’une culture commune.
Actuellement, ces anciennes cultures sont dénommées globalement en tant que « Guanches » mais ceci est un abus car les Guanches étaient les habitants de Tenerife (l’île la plus grande de l’archipel), alors que chaque peuple de chaque île portaient des noms différents.
De même les îles avaient des appellations différentes, il semble qu’il n’y ait que La Gomera qui ait gardé son nom d’origine.
Les débats et recherches actuelles portent beaucoup sur l’arrivée de ces premiers habitants. Des recherches archéologiques feraient état de populations déjà présentes entre 500 et 1000 avant notre ère.
Un livre1 qui nous a été offert au Maroc par l’institut royal de la culture amazighe, traite de cette question et propose la piste suivante : les habitants auraient été déportés par Rome suite à la chute de Carthage et la conquête de l’Afrique du Nord.
Sous l’Empire Romain c’était un châtiment régulier que de déporter ou d’exiler des opposants politiques ou des condamnés et notamment vers des îles. Aussi il est prouvé que les Romains avaient connaissances de ces îles qu’ils appelaient “les Îles Fortunées”. De même il est prouvé que de nombreuses révoltes ont été menées par les tribus amazighe lors de la conquête romaine de l’Afrique du Nord, et que ces révoltes ont souvent été réprimées très fortement.
Un lien est fait ensuite entre les noms anciens des îles et le nom de tribus amazigh présentes en Afrique du Nord. Selon cette théorie, les Romains les auraient donc déposés par tribu dans les différentes îles.
Beaucoup d’anciens textes d’européens après la conquête font état de légendes contant que les premiers habitants eurent la langue coupée en arrivant dans les îles, mais ce châtiment est plutôt attesté en Afrique du Nord durant la conquête Vandales du 5éme siècle après JC.
Personnellement, après avoir lu le livre, j’aime bien leur théorie, mais il est clair que pour le moment il n’ont aucune preuve tangible et ferme, mais plutôt un faisceau d’indices qui se regroupent assez bien.
Certaines personnes théorisent donc qu’il y aurait pu avoir plusieurs vagues de colonisation, et que les déportés auraient pu venir se mélanger à des personnes qui seraient déjà parvenus par d’autres moyens quelques siècles auparavant…
En tout cas, il n’y a pas de certitudes, et la chose problématique est le fait que ces cultures ont été totalement éradiquées en quelques dizaines d’années. Il est donc assez difficile de les présenter et d’avoir leurs avis sur la question. On peut néanmoins préciser que ce furent les derniers Imazighens touchés par les religions monothéistes.
Je vais donc plutôt continuer en vous présentant le déroulé de la conquête.
Entre la chute de l’Empire Romain et les alentours du XIIIème siècle, il ne semble pas qu’il y ait eu de contacts attestés entre les îles et les continents.
À partir de 1291, il est supposé que des navigateurs européens aux prémices des “grandes conquêtes” touchèrent les îles Canaries. Ensuite pendant plus de un siècle, diverses embarcations seraient venus et notamment pour capturer des esclaves, seule “ressource” réelle à pouvoir être pillée puis revendue en Europe.
Ensuite commence ce qu’il me semble être une des premières “expérimentation” des futures colonisations européennes mêlant conquête de territoire, appât du gain, montages financiers, évangélisation et violences.
Ainsi dès 1346, le Pape nomme une principauté des îles Fortunée qu’il s’agit d’aller évangéliser. Plusieurs tentatives d’expéditions seront montées mais aucune ne réunira vraiment les fonds nécessaires ou ne parviendront à s’établir de manière pérenne sur les îles.
Cela jusqu’à l’arrivée de Jean de Béthancourt en 1402 un noble Normand cherchant à la fois gloire et conquête mais dont les faits relatés dans le Canarien2, ouvrage écrit par ses Chapelains qui l’ont suivi toute sa vie, ressemblent beaucoup depuis notre regard à de la piraterie basique.
Celui-ci avait entendu parler des Canaries suite à sa participation à une croisade organisée par Gènes vers la Tunisie actuelle et de l’encouragement du Pape à aller les évangéliser. De même, il semble qu’il avait de bonnes raisons de ne pas trop rester en Normandie, où la guerre de cent ans faisait rage ainsi qu’également des créances qu’il avait et qu’il pensait sûrement rembourser grâce aux gains de sa conquête.
On suit donc son périple en partance de la Rochelle avec des équipages venant de toute l’Europe, et des nombreux rebondissements dans différents ports (révoltes de matelots, conflits avec d’autre navigateurs, rapines…). Finalement après leur arrivée à Lanzarote ils se rendent compte qu’ils n’ont pas assez de moyens pour finaliser la conquête. Bethancourt repart donc en Europe en laissant à Lanzarote un groupe d’hommes.
Il reçoit le soutien financier et matériel du Roi d’Espagne en échange de quoi Bethancourt lui soumet allégeance ce qui fait passer les futures conquêtes dans le giron du Royaume d’Espagne.
Je passe les détails, mais pendant environ 100 ans la conquête se déroulera donc île après île. Les plus grandes, Tenerife et Gran Canaria, ayant déjà subi des assauts de pirates et sachant à quoi s’attendre de ces envahisseurs mèneront une grande résistance, et il faudra des armées de plusieurs milliers d’hommes pour en venir à bout.
En quelques dizaines d’années la plupart des hommes sont tués, se suicident collectivement comme à la Gomera ou sont envoyés en esclavage.
Des recherches récentes basées sur la génétique3 font état qu’environ 25% des gènes des Canariens actuels ayant leurs 4 arrières grands-parents issus des îles seraient d’origine nord-africaine, donc venant en très grande partie de ces populations pré-conquêtes. De même il est précisé que ces gènes auraient été transmis en majorité par des femmes.
Le tableau de conquérants masculins tuant ou déportant les hommes locaux et s’installant avec les femmes restées sur les îles est donc assez simple à apercevoir. Ainsi leurs descendants, en une génération ont porté directement des noms européens.
De rares choses comme les traditions culinaires (Gofio) ou le Silbo à la Gomera ont subsisté, mais globalement leurs langues, cultures et mémoires ont disparu très vite.
Ainsi en une petite centaine d’années, une société féodale est mise en place et les Canaries passent dans le giron européen, espagnol et catholique.
Elles ne sont même pas terminées d’être colonisées qu’elles sont déjà inclues dans l’organisation européenne de la conquête du monde. Ainsi Colomb fait une halte à El Hierro en 1492 lors de son premier passage vers la conquête de l’Amérique. Pour les navires espagnols elles seront une escale toujours utilisées dans le commerce transatlantique qui sera mis en place.



1. “Aux origines du peuplement des îles Canaries”, Alicia Garcia Garcia, Antonio Tejera Gaspar
2. “Le Canarien, livre de la conquête et conversion des Canaries” Jean Le Verrier, Pierre Bontier
3. “Genomic Analyses of Human European Diversity at the Southwestern Edge: Isolation, African Influence and Disease Associations in the Canary Island” Molecular Biology and Evolution, Volume 35, Issue 12, December 2018, Pages 3010–3026