Maroc, Marocco, Al Maghreb.

Photo : vue sur l’entrée du fleuve Bouregreg et la Kasbah de Rabat. Le soleil est en train de se coucher, plus que quelques minutes avant le « ftor », la rupture du jeûne en période de Ramadan.

Regard d'un voyageur

3 mois passés au Maroc. Que dire sur un pays, un peuple, une civilisation en 3 mois… ?

Cela ne peut être que des bribes de ressentis, de conversations, d’observations, mais en rien une possibilité d’analyse approfondie… D’autant plus sans en parler la langue, malgré nos efforts du début, nous n’aurons pas atteint beaucoup plus qu’un niveau permettant d’autres choses que les banalités de salutations, acheter nos courses et dire que nous avons chaud et que nous habitons dans un bateau ! « Heureusement pour nous », beaucoup de Marocain.e.s sont polyglottes, et le Français, langue coloniale, est encore très très présent, ce qui nous a permis de faire quelques rencontres et de comprendre par la discussion un peu plus les enjeux du Maroc actuel.

Voilà donc quelques pensées, observations et retours sur ce pays de la part d’un Gaori européen en voyage en voilier…

La langue 

Déjà, nous ne parlons pas la Darija, « le dialecte » qui est la forme marocaine de l’arabe. Cette langue, qu’ils appellent « dialecte », n’a jamais été codifiée, ni unifiée, ni mise à l’écrit. La « Darija » a donc de nombreuses formes régionales assez différentes pour que quelques mots de base que nous avons appris à Tanger ne nous soient plus d’aucune utilité arrivés à Essaouira. La Darija actuelle est composée en majeure partie de mots découlant de l’arabe, du tamazight (berbère), et quelques touches de portugais, espagnol et français, les anciens colonisateurs. Mais le système de conjugaison est tiré de l’amazigh (prononcé « amazir ») et non pas de l’arabe. Les Marocains ne parlant pas l’arabe classique ont donc beaucoup de mal à se comprendre avec des personnes venant du Moyen-Orient.
Les deux langues officielles au Maroc sont le tamazight et l’arabe classique, c’est-à-dire, celui du Coran.

Pour écrire la Darija les personnes se débrouillent donc à jongler entre l’écrit arabe ou l’alphabet occidental pour écrire phonétiquement leur langue orale…
Le français reste une langue très importante à parler pour avoir une place dans la société. Il est utilisé dans toutes les administrations, dans de nombreux médias et il est demandé pour tous les postes « touristiques ». Le parler est signe d’une place sociale assez élevée.

Amazigh ou Berbère ? Les deux mots parlent de la même chose. Amazigh est le mot utilisé dans leur langue, ce qui veut dire « homme libre ». Berbère est le mot utilisé par les non-amazigh, dérivé du mot « barbare »…

Le royaume 

Nous parlons du Royaume du Maroc, et sa devise « Dieu, La Patrie, Le Roi »…

On remonte la fondation du Maroc arabe et islamique à l’année 789 et sa conquête par les troupes arabes fraichement converties à l’islam et se faisant le devoir d’aller l’annoncer à tout le monde par la force, telle une bonne religion monothéiste.

Aujourd’hui, le roi s’appelle Mohammed VI, il est en poste depuis 1999. Son portrait règne obligatoirement dans toutes les administrations ou lieux officiels et il est plutôt de coutume de l’afficher dans les magasins et cafés.

Le roi est officiellement le chef d ‘État, le commandant des croyants au Maroc, et également le chef militaire. En outre, il est aussi la première fortune du pays et contrôle des pans entiers de l’économie. Il est donc omnipotent.

Il ne fait pas bon de le critiquer ouvertement. Et les moments où nous avons pu entendre quelques critiques furent au calme dans des maisons éloignées de toutes oreilles indiscrètes.

Un ami nous a dit « On peut dire que c’est une semi-dictature, mais si tu ne critiques pas ouvertement, tu peux vivre ta vie tranquillement »

Et effectivement, selon les témoignages et de ce qui peut se voir, il semblerait que la stratégie de Mohammed VI soit basée sur un fort libéralisme économique mêlé à un « libéralisme social intermittent ». De grandes villes se développent fortement, nous aurons pu le voir à Tanger, Casablanca, Rabat. Infrastructures modernes flambantes neuves, services, dynamisme économique, entreprises étrangères implantées etc. Dans le même temps, toujours dans ces grandes villes, une flexibilité des mœurs apparaît, quelques soirées privées passées à Casa, Rabat ou Tanger auraient facilement pu se dérouler en Europe.

Mais les lois pour le moment demeurent globalement les mêmes et certains faits et gestes (consommation d’alcool et stupéfiants, relations sexuelles hors mariage, manger pendant le ramadan, homosexualité…) ne sont pas sanctionnées systématiquement mais peuvent l’être à tout moment, sur dénonciation ou pour faire pression s’il le faut…
Il y a actuellement quelques rappeurs et journalistes détenus pour ce genre de motifs avec la suspicion que ce soit plutôt leurs paroles politiques qui aient amené les autorités à se pencher sur leurs cas. . .

Mohammed VI est également perçu plus souple en comparaison à la rigueur de son père Hassan II, qui a tenu le Maroc d’une main de fer pendant 38 années (ou de plomb, comme le nom des années de répressions courant 1970 – 1990).

Les regards sont maintenant centrés sur le jeune Hassan, futur 3éme du nom, qui a maintenant 20 ans. Son père ayant des maladies chroniques, il pourrait accéder au trône dans les prochaines années. Quelques personnes nous ont signifié qu’il semblait avoir le tempérament de son grand-père… Affaire à suivre.

L’État (policier)

La police est encore plus présente qu’en Europe. . . Les vigiles, agents de sécurité et gardiens de toutes sortes également.
Quand il y a un problème, les gens sont vites retrouvés… Tout le territoire est quadrillé par un système d’informateurs et de contrôle des faits et gestes de la population sous l’égide du ministère de l’intérieur. Quand nous sommes accueillis à la campagne, nos hôtes doivent envoyer une photo de notre passeport au Mokaden, qui peut en faire part au Caid qui lui même peut en faire part à l’Awila (correspond aux préfets français).
Ce système (et globalement toute l’administration marocaine) est issu de celui qui fut mit en place par l’administration coloniale française.

Sur tous les trajets sur route nationale, on peut croiser un barrage de police tous les 50km en moyenne.

Pour ce qui est des frontières, l’Union Européenne sous-traite la gestion de la frontière au Maroc. Les choses sont donc plutôt bien organisées avec des vigiles tout le long des côtes proches d’un territoire européen. À titre personnel, la douane visite le bateau à chaque entrée et sortie d’un port et sur 4 escales nous avons eu deux fois les chiens à bord (recherchant drogues mais aussi humains).

La frontière avec l’Algérie est fermée depuis 1994. Il n’y a donc que tout au sud, à 2000km en ligne droite de Tanger, avec la Mauritanie qu’un passage peut se faire sans encombres pour les marocains.

Économie 

Le tourisme a une part très importante dans l’économie du pays. « Bienvenue au Maroc », nous auras t-on répété des centaines de fois (sans exagérer). À Casa, un flic à bord d’une camionnette de « l’aide sociale du Maroc » après avoir rouspété une mendiante et ces deux enfants pour leur indigence, nous l’aura également lancé. Nous sommes souvent mieux traités que les Marocains… comme en France finalement…

Mais, on nous l’a répété, et nos quelques incursions dans les terres nous l’ont confirmées, c’est un Maroc à « 2 vitesses ». Dans les campagnes, l’agriculture vivrière alliée a une petite production de vente (chèvres, moutons, haschish…) semble être encore le quotidien pour des millions de Marocain.e.s ruraux. Bien sûr, les télés et les smartphones commencent à se répandre au gré des antennes qui se multiplient laissant très peu de zones blanches.

Allah

Pour un Français plutôt d’obédience anti-cléricale avec amitiés spirituelles, l’arrivée au Maroc en plein Ramadan aurait pu être une plongée dans la folie.

La religion est effectivement beaucoup présente.
Ce qui peut se voir publiquement et rapidement de l’oeil d’un mécréant :

Dans le langage courant :
– Bismillah : au nom de Dieu
– Tsallah : Que Dieu te protège
– Inch’allah : Si Dieu le veut
– Mech’allah : Par la grâce de Dieu

Dans les corps :
– La tâche due à la prière sur certains fronts de « bons musulmans »
– Le voile sur certaines femmes
– Les prières pouvant se faire n’importe où

Dans le quotidien :
– 5 fois par jour les voix des muezzins chantent dans tout le Maroc pour appeler les fidèles à la prière.
– Le jeûne du Ramadan, un mois sans manger ni boire pendant la journée. Une obligation légale au Maroc.

Dans beaucoup de discussions, certains de nos interlocuteurs pouvaient faire référence à Allah ou au Coran pour légitimer des pensées. Étant donné le nombre de traductions et d’interprétations différentes, j’ai donc compris que le Coran pouvait dire des choses très différentes, voire contradictoires.

J’ai eu de chouettes discussions avec de nombreuses personnes sur leur relation à la religion et à la spiritualité, sauf celles qui étaient prosélytes et dogmatiques… J’ai pu croiser des personnes athées, agnostiques et musulmanes à différents degrés de pratique et divers courants.
Certaines personnes ont pu souffrir d’un Islam rigoriste (Wahhabittes ou autre) au sein d’écoles Coraniques, et de dogmes implacables auxquels il fallait soit se plier soit se soustraire. Depuis le début des années 2000, le Royaume a fait en sorte que la présence de ce courant de l’islam devienne moins présente au Maroc, et de promouvoir un islam plus modéré.

Les personnes semblent plus ou moins libres dans leurs pratiques religieuses selon leurs entourages et la pression sociale à laquelle elle sont soumises. Quelques ami.e.s athé.e.s ou se posant des questions ne pouvaient pas en faire part à leurs familles.

La question spirituelle de fait est plus présente qu’en Occident.
La possibilité de pouvoir, plusieurs fois par jour se poser dans un coin sur un tapis, s’étirer, se recentrer, prier, méditer ou penser à autre chose me semble essentiel. Cela sans aucun regard de travers.
Le jeûne et surtout la rupture chaque soir et les belles fêtes qui s’en suivaient son tout autant magnifique d’un vivre ensemble très fort.

Monde post-colonial ou néo-colonial ?

Que faire en tant que Français dans un pays qui fut colonisé par la France et qui est encore situé dans un système international post ou néo-colonial ? C’est la difficile question à laquelle on s’est confronté.

Nous pouvons aller et venir au Maroc à notre bon gré tandis que pour la majeure partie des Marocain.e.s la possibilité d’aller vers le nord légalement est impossible et pour ceux qui peuvent cocher les bonnes cases (aisance financière, travail/projets, famille, langues européennes parlées…) obtenir un visa devient régulièrement un parcours du combattant.

Les personnes non-blanches en France subissent un racisme systémique tandis que nous avons plus de droits et libertés au Maroc (relations hors-mariages, consommation d’alcool, délit de faciès « positif »…).
J’avais déjà en tête ces privilèges, mais ici, j’ai ressenti vivre physiquement le concept de blanchité (« subir une forme de racisation qui, dans ce cas précis, octroie des privilèges »1) qui m’accorde un traitement de faveur même dans un pays « non-blanc ».

1. Voir la définition de la Ligue des Droits et Libertés du Québec

Alors que faire ? Ou comment faire ? Ou comment ne pas faire ?

Voici quelques conclusions et pensées issues de nos 3 mois passés au Maroc et de discussions et retours avec certaines personnes (merci notamment à Chérine et Zineyb)

  • Il est impératif de se documenter sur l’histoire des pays visités et notamment l’histoire coloniale si il y en eu une. Les exactions françaises dans les anciennes colonies et le quotidien des colonisés sont des sujets encore tabous dans notre pays. Nous n’avons donc pas en tête ce qu’il se passait concrètement. Quelques exemples et histoires racontées m’ont fait échos à celles que nous connaissons mieux de l’occupation allemande en France pendant la seconde guerre mondiale (vol de nourriture, hébergement de militaires, présence militaire partout, « justice » expéditive…).
  • Essayer d’avoir conscience de ses privilèges. Qu’en tant que blanc, on sera toujours traité différemment, donc faire attention à la manière dont on se comporte.
  • Faire l’effort d’apprendre la langue…

C’est un minimum il nous semble.

Les voyages d’une semaine en avion ont encore moins de raisons de se faire !

De notre côté, en voyageant à 5 blancs sur un voilier, ces questions que nous nous posions sont encore plus à vif. Nous avons envie de continuer à lire, nous renseigner sur ce sujet pour continuer à tendre vers une posture plus juste, étant donné que nous allons nous retrouver de nouveau dans cette position dans les prochains mois.

Coup de coeur roulotte !

→ Les dromadaires : Ils sont étranges, ont l’air d’avoir le tempérament des vaches, moins les cornes. Ruminent, se posent, marchent tranquillement ou roulent leur bosse ! J’ai envie de devenir leur ami, mais ils m’impressionnent.

Lucas

Un avis sur « Maroc, Marocco, Al Maghreb. »

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