Mettre les pieds dans les rues ensablées de Dakar sans introduction préalable c’est Slalomer entre les jakarta (moto-taxi) et les vendeurs de café touba. Se retrouver à boire de l’eau en sachet et loucher sur les boutiques de tissus en pagaille. Craquer sur les beignets au mil et ne pas réussir à refuser les multiples invitations au thé – prétextes à salutations, présentation, discussions. Françafrique, immigration, Allah, une leçon de wolof au passage.
Nangadef ? Manifi.
Être asphyxié par la pollution de Dakar ou par les nuées d’enfants aux cris Toubab toubab. S’arrêter sur la petite plage de Ouakame où on recoud des filets de pêche en écoutant du reggae et se retrouver noyé dans des discussions vertigineuses de vérités ébranlantes, connections universelles mais incompréhensions inévitables. La lucidité et la fatalité me clouent sur place quand on finit la discussion sur une franche poignée de main en se disant Nio far (« on est ensemble »).
La teranga (hospitalité sénégalaise) nous sourit et nous lui sourions. Et après Dakar, déjà bien nourri.e.s au thiép bou dien (riz au poisson) nous continuons notre route vers le Saloum, slalomant dans la nuit avec nos voiles entre les filets et les pirogues des pêcheurs…
La mangrove et les pirogues colorées nous accueillent inlassablement baignées dans les marées qui vident les pleins et remplissent les vides de ce fleuve bondé d’oiseaux zèbres – azurés – pélicans impressionnants.
Salif et Ibé nous escorterons pendant 3 semaines tous les soirs autour du feu à Diogane dans nos réalisations théâtrales et radiophoniques. Diogane petit village sur une île, peuplé d’enfants capables de se transformer en foule dansante spontanée sans lumière ni adulte. Moyenne d’âge sur la piste de danse au volume sonore saturé : neuf ans.
On est arrivé à Diogane en frôlant la mangrove, on en repart en s’échouant involontairement sur un banc de sable.
Et on arrive in extremis à Ziguinchor, 180 milles plus loin pour soigner le doigt d’Omaé qui avait décidé de s’excroître et animer des ateliers radio et théâtre à l’Alliance franco-sénégalaise (par ailleurs brûlée pendant les manifs de juin 2023, mais ça c’est une autre histoire…). La Casamance rebelle se dévoile sous nos yeux et nous voilà écarquillé.e.s devant autant de libertés de penser et de se dire, de déclamer tel.les les slameur.euse.s de « SLAM’O » ; nos notes de musique s’acoquineront à leur poésie.
« Nous étions esclaves mais plus maintenant
Depuis que les chaînes que vous avez enchaîné à nos ancêtres se sont déchaînées
Depuis la nuit des temps
[…]
Hier était silence mais il y aura du bruit demain
[…]
La paix la guerre la lune soleil la nuit le jour
Nous sommes là »
Diénabou, slameuse de Ziguinchor
Et les fêtes approchent et Faks le clown militant de la Cie de théâtre de l’opprimé Noumec nous entraîne dans sa folie et nous voilà à jouer une pièce de théâtre-forum à base de toubab-mariage-polygamie-immigration ; un bon mélange qui fera bien marrer le public mais finira en queue de poisson avec les autorités qui couperont le débat.
Kassoumai ? Kassoumaikep ! nous voilà en pays diola. animistes, chrétiens et musulmans se mélangent. Et ça aussi, ça nous écarquille.
On se fait balader dans les formules de politesse à n’en plus finir – test de notre niveau de toubabité – et filmé.e.s si on on ose bouger nos corps sur leur musique percussive. Smartphones brandis bien haut, nous sommes bêtes de foire ; impossible bien sûr de passer inaperçu. Expérience sociologique nécessaire, et créatrice de débats infatigables entre nous – et presque tendus.
Néo et post-colonialité – impossible de ne pas y penser. Surtout dans le contexte où Ousmane Sonko, unique opposant radical au gouvernement est emprisonné, et qu’il est le seul à remettre en question la place de la France au Sénégal
Un petit détour par la Gambie plus tard et malgré les efforts de la Baleine pour remonter face au vent, on mettra tout de même cinq jours pour atteindre l’île de Sal, à l’extrême Nord Est de l’archipel du Cap Vert.
Arrivée sous les rythmes des tambours entraînants – répétition de carnaval – changement d’ambiance total. Tud’ ret’ ? Tud’ bom? On retrouve la joie des terrasses et les ami.e.s breton.ne.s… Nous voilà embarqué.e.s dans l’aventure capverdienne…
Grog et caipirinha dans nos verres, morna comme musique nostalgique dans nos oreilles, les pêcheurs nous racontent leurs vies mouvementées par les vagues, les vents et la galère de ces îles à l’eau désalinisée où presque tout est importé.
Il est plutôt facile de se baigner dans cet environnement qui nous semble presque familier car bizarrement nous retrouvons des codes européens. Étrange sentiment d’avoir l’impression d’un retour au chez soi dans ces grandes rues pavées ou en tirant la chasse d’eau d’un toilette avec cuvette et lunette.
Bateau spectacle héritier de nos prédécesseurs, l’école de musique libre EducArte sur l’île de São Nicolau nous ouvre ses portes et nous devenons les élèves assidus d’Amelindo comme d’autres ami.e.s marins artistes avant nous.
Quelques notes de musique de morna dans les doigts plus tard, une parenthèse s’ouvre à Mindelo : visite des familles, retrouvailles avec d’autres bateaux-copains et préparation du gros morceau qui nous attend, maintenant inévitable, juste devant nous : la Transatlantique.
Lison, février 2024, dans le carré de la Baleine.