Naissance d’un volcan

Le 19 septembre 2021, une éruption volcanique débute sur l’île de la Palma. Pendant 85 jours, un flot de lave va dévaler l’île sur 1200 hectares, rasant les habitations de plus de 2300 personnes ainsi que de nombreuses infrastructures.

En arrivant en voilier par le Sud depuis la Gomera, nous n’avions pas spécialement en tête cet événement. A l’approche de la côte Ouest, on aperçoit un fin nuage qui s’étale entre deux couches d’air, au milieu de ce ciel d’un bleu éclatant. Un nuage, ou de la fumée ? On sait que l’île a subi un grand incendie il y a un mois à peine… Nous remontons peu à peu et finalement tombons sur de grandes langues de terres d’un noir profond qui débordent de la côte. Elles tombent et arasent ce rivage composé de petites falaises d’une vingtaine de mètres. Nos cartes n’étant ni précises, ni à jour, nous nous écartons un peu, et soudain, par dessus les falaises apparaît un cône, un cratère, mêlant des couleurs noires, rouge et beiges foncées. Le fin nuage s’en échappe comme un fumet au dessus d’un gratin sorti du four.

Le volcan est là, il continue à refroidir.

Suite à quelques péripéties de type chantiers, et les remarques d’un voisin gréeur, qui, si il était nous, changerait son étai, nous restons finalement plus d’un mois à La Palma.
Entre nos répétitions de musiques, concerts, balades et chantiers, je souhaitais donc mettre à profit ce temps pour enregistrer des témoignages d’habitants décrivant ce que fut l’éruption pour eux.
Seulement, sans vouloir être trop intrusif, cela fut quasiment mission impossible et seulement une personne a accepté d’être enregistrée notamment du fait qu’elle habite de l’autre côté de l’île et n’a pas subi de dommages directs de l’éruption.

Voici donc le témoignage de Dario :

« Le volcan a été d’une part quelque chose de merveilleux, pour la force et la grandeur de la nature. Mais il faut préciser que beaucoup de gens ont perdu leurs maisons. Nous on a eu de la chance car on habite de l’autre côté de l’île. De là bas, on ne se rendait presque pas compte qu’il y avait l’éruption. Un peu de cendres, le bruit, parfois de la fumée à travers la montagne.

On l’a bien vécu nous.

J’aimerais revivre cela une fois, de loin c’était magnifique, bien sûr si tu ne perds pas tout.

Pendant quelques mois avant l’éruption il y a eu des tremblement de terre assez réguliers, chez nous, il n’y en a aucun qui a été très très fort, mais bon on dansait un peu dirons nous !
Ça va paraître bizarre, mais on s’est habitué à cela. Personnellement les dernières fois, j’aimais presque cela, que tout bouge un petit peu, mais bon peut-être qu’on peut dire que je suis un peu bizarre aussi !

Moi j’ai toujours aimé, voir, sentir, respirer la nature sous toutes ses formes. C’est une tragédie de plein de points de vue, mais en même temps, ça nous remet à notre place. Nous ne sommes que des humains, la nature est plus grande que nous, toujours.

Nous on n’a pas la télé depuis longtemps, donc on s’informait sur internet ou avec les copain.e.s. Et oui, il y avait un peu de peur en amont, car ça pouvait sortir de n’importe où et aussi d’en dessous de notre maison.
Ça a pété, là où ça a pété et ça aurait pu être ailleurs.

Nous on a réussi à se tranquilliser, mais bien sûr, on habite sur une île volcanique, alors on sait toujours que ça peut arriver.

Le premier jour de l’éruption, je ne sais plus comment on a su, mais on est allé juste en dessous de la première bouche. Ça m’a beaucoup plu. L’émotion de voir des choses si grandes, si fortes, c’était quelque chose. Bien sûr c’était avant qu’il y ait des destructions.

Il y avait une odeur de souffre, de la cendre, des mètres de cendres.

Des tremblement de terres par dizaines. Certains qu’on ne sentait presque pas bien sûr, mais les quelques jours avant puis pendant les 85 jours d’éruption, il devait y avoir entre un et trois tremblements par jour assez forts pour être ressentis.

Le bruit était très impressionnant également, on aurait dit une flotte d’avion de chasse passant tous groupés, très fort. Comme une flamme de soudure mais énorme. Puis des explosions. C’était hallucinant.

J’espère que ce sera la dernière fois ici.

Mais en général à La Palma, il y a une éruption toutes les quelques années. Donc ça va revenir forcément. Sous l’île c’est une grande chambre remplie de lave. Il y a aussi de l’eau. Et si elles se rejoignent cela peut créer une pression très forte.

Il y a des théories comme quoi la moitié de l’île pourrait exploser, ou tomber dans l’eau. Cela s’est déjà passé dans d’autres endroits. Tout peut se passer finalement.

Mais bon, que veux-tu qu’on fasse ? Quand ce sera le moment, ce sera le moment. Il faut le prendre avec philosophie.

On ne parle pas beaucoup de ce sujet avec les gens d’ici.
Avec certains on a organisé une semaine pour aller voir le volcan, et il y en a qui en voyant cela, disaient qu’ils ne voulaient même pas voir le volcan. Chacun réagit à sa manière.

Je vois peu de gens parler du volcan entre eux. Chacun à ses souvenirs, mais tout le monde les garde pour soi sans les remettre dans les discussions. »

C’est donc une vraie catastrophe naturelle qui s’est passée pour La Palma. Au-delà du spectacle magnifique que nous décrit Dario, il y eu des répercussions énormes pour une grande partie de la population. Aujourd’hui 2 ans après l’éruption, de nombreuses conséquences ont encore lieu et les choses ne sont pas encore tassées.

Les assurances habitations n’étant pas obligatoires en Espagne et le fait que de nombreuses constructions n’étaient pas forcément déclarées, beaucoup de personnes n’ont pas pu être indemnisées à la hauteur de la valeur de ce qu’elles détenaient.
La mairie et des associations de solidarité ont réussi à mettre en place des fonds pour soutenir les personnes ayant tout perdu, mais les sommes montent autour de 10 000 euros par habitation.
Il a fallu également reloger ces personnes, mais sur une île la place n’est pas infinie. Ainsi les prix dans l’année suivante ont augmentées de 20 % sur l’île alors que sur le reste des Canaries de 5 %. Certain.e.s personnes sont encore hébergées dans des hôtels.
Cela sans parler des bâtiments publics (deux écoles, une église, salles de sport, culture, bureaux…), commerciaux, touristiques et agricoles (bananeraies) qui ont été rayés de la carte.

L’éruption à également des conséquences psychiques et morales sur de nombreuses personnes. Si Dario a su apprécier le spectacle, plusieurs personnes ont refusé de témoigner même si elles ne furent pas touchées matériellement, mais ne voulant pas réactiver des peurs ou de mauvaises sensations qu’elles ont pu avoir.

À l’heure de l’emballement des catastrophes naturelles, il me semble qu’une enquête en profondeur, que je n’ai pas faite, serait intéressante pour apprendre et tirer des enseignements sur la gestion collective (ou non) suite à ce genre d’évènements. La Palma étant en elle-même une petite île/société de 90 000 habitants, comment s’y est-elle pris ou comment s’y prend t-elle pour continuer la vie après la catastrophe ?
Comment se soutenir ? Comment ne pas créer un tabou monumental (surtout avec le volcan toujours bien en vue) ? Comment continuer la vie collective après ce genre d’évènements et se préparer aux prochains ? Voilà des questions auxquelles le volcan nous a fait penser.

La coulée de lave qui balafre l’île, le volcan qui fume, les bananeraies et en bas à droite, une petite Baleine au mouillage !